Rencontrer l'Artiste
Sebastião Salgado, né en 1944 dans le Minas Gerais, Brésil, vit à Paris, France. Il est marié à Lélia Wanick Salgado. Ils ont deux fils et deux petits-enfants.
Economiste de formation, il débute sa carrière de photographe professionnel en 1973 à Paris ; il travaille tour à tour avec plusieurs agences de photo, jusqu’en 1994, date à laquelle il fonde avec Lélia Amazonas images, exclusivement dédiée à son travail. Cette structure est aujourd’hui leur studio.
Il voyage dans plus de 100 pays pour ses projets photographiques, qui, au-delà de nombreuses publications dans la presse internationale, ont été présentés dans des livres tels que Autres Amériques (1986), Sahel, l’homme en détresse (1986), Une Certaine Grâce (1990), La main de l’homme (1993), Terra (1997), Exodes et Les enfants de l’exode (2000), Africa (2007), Genesis (2013), Terres de café (2015), Koweït, un désert en feu (2016) et Gold, Mine d’or Serra Pelada (2019), Amazônia (2021). Ces livres ont été conçus et dessinés par Lélia Wanick Salgado.
Des expositions itinérantes de ces travaux ont été et continuent d’être présentées à ce jour dans des grands musées et galeries sur tous les continents. Lélia Wanick Salgado en est la conceptrice et commissaire.
Plusieurs œuvres sur la vie et la carrière du photographe ont vu le jour, telles que le livre De ma terre à la Terre (2013), récit à travers la plume de la journaliste Isabelle Francq ; et en 2014 le film documentaire le Sel de la terre, coréalisé par Juliano Ribeiro Salgado et Wim Wenders, présente sa vie et son travail au cinéma. Ce film reçut le Prix Spécial du Jury au festival de Cannes de 2014 dans la catégorie Un Certain Regard, ainsi que le César du meilleur film documentaire en 2015 ; il fut aussi nominé au 87ème Academy Awards.
Le dernier projet photographique en date de Salgado a pour thème l’Amazonie brésilienne et ses habitants, les communautés indiennes. L’objectif de ce travail est de tenter de les faire connaitre et de montrer les menaces auxquelles la forêt et ces indiens font face, exploitation forestière illicite, orpaillage, construction de barrages hydrauliques, élevage de bétail, culture du soja, et de plus en plus les effets du changement climatique. Ce travail a été présenté au public en mai 2021 sous forme de livre et d’expositions, sous le titre AMAZÔNIA.
Salgado a été récompensé par de très nombreux prix pour son travail, et a reçu de nombreuses distinctions, entre autres : Membre honoraire de l’American Academy of Arts and Sciences, Etats-Unis. Grand Prix National 1994, Ministère de la Culture et de la Francophonie, France. Prix «Príncipe de Asturias de las Artes», Espagne. Comendador da Ordem de Rio Branco, Brésil. « Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres », Ministère de la Culture et de la Communication, France.
Membre de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France. Chevalier de la Légion d’Honneur, France. Membre honoraire de l’American Academy of Arts and Letters, Etats-Unis. Salgado a reçu le Prix de la Paix des libraires allemands en 2019 et en 2021 le 27th Annual Crystal Award, attribué par le Forum économique mondial /Forum de Davos.
Sebastião et Lélia travaillent depuis les années 1990 à la récupération de l’environnement d’une partie de la Forêt Atlantique au Brésil, dans l’état du Minas Gerais. Ils ont rendu à la nature une parcelle de terre qu’ils possédaient, devenue réserve naturelle en 1998. Ils ont créé la même année l’Instituto Terra qui a pour mission la reforestation et l’éducation environnementale.
Découvrir l'œuvre
Nous admirons ici un paysage amazonien, où une impressionnante masse nuageuse occupe les trois-quarts de l’image construite en cinq couches étagées l’une sur l’autre : l’eau, la forêt, une fine bande de ciel clair au-dessus de la canopée - la canopée représentant cet étage sommital de la forêt tropicale humide, qui abrite la majorité des espèces y vivant ; et surplombant l’ensemble, cet énorme nuage gonflé et moutonnant, écrasant, figé dans un mouvement qu’on imagine lent et imperturbable. Sombre et orageux, pourvu d’une base plate plus foncée, ses nombreux reliefs arrondis et bombés épousent une large palette de gris très contrastée.
La cinquième et dernière couche se situe dans la partie supérieure de l’image, légèrement en arrière-plan. Elle est composée de nuages plus légers. Elle est parfois ponctuée de taches noires, comme brossées à la va-vite par le pinceau d’un peintre.
Cette photographie est donc une vue frontale et stratifiée par les éléments : l’eau, le bois, les feuilles, l’air, les cristaux invisibles des nuages.
Elle est percée en bas, dans l’angle à droite, d’une petite ouverture. C’est le large cours de l’eau qui fait ici un coude, barré au loin par un nouveau mur végétal plus indistinct.
L’étendue aquatique du premier plan, indique que la prise de vue a été effectuée d’une embarcation, vraisemblablement à hauteur d’homme, lors d’un déplacement fluvial, comme beaucoup d’autres photographies que l’on trouve dans ce livre de Sebastiao Salgado. La surface de l’eau est calme, douce et sans remous. Des tâches de lumière l’illuminent ici et là, côtoyant les reflets sombres de la forêt qui la surplombe - une forêt lointaine, luxuriante, impénétrable, sans berge, dont les arbres aux formes et dimensions disparates semblent tremper directement dans l’eau. Certains troncs dénudés se détachent ponctuellement de la masse végétale, de par leur écorce d’un blanc pur. Un jeu de nuances allant du gris sombre au gris clair dialogue entre frondaisons et feuillages.
Difficile d’envisager à quel moment précis de la journée cette prise de vue a été exécutée. Face au large firmament, on ressent une majesté solennelle, une sorte de splendeur olympienne.
Les reliefs nuageux se chevauchent, ourlés de gris et de noirs, offrant une forte impression de grandeur et d’intemporalité.
L’intemporalité d’une beauté naturelle et vierge, d’un éclat paradoxal où la tranquillité plate de l’eau et la fine bande de ciel clair au-dessus de la canopée, contrastent avec le bouillonnement du nuage principal, porteur sans doute de violents orages et averses à venir et qui, inexorable, poursuit son chemin, au-dessus des fleuves et des forêts.
Face à face avec un homme d’une vingtaine d’année au visage peint, coiffé de plumes. Son regard impavide nous scrute ; ses traits redéfinis par la peinture lui confèrent une froide majesté, tel un masque.
Sa coiffe tressée en fibres de bambou est structurée par les barbes des plumes.
Elle forme un arc qui descend de part et d’autre de son visage.
La coiffe est composée d’un premier rang de courtes plumes blanches disposées en soleil autour du visage. Sur le haut du crâne les plumes sont noires. Le second rang est également fait de plumes noires, si longues qu’elles se perdent hors cadre.
La peinture faciale coupe le visage en deux verticalement : un côté sombre, un côté clair. Les lèvres et les yeux entièrement couverts de noir, les oreilles restées vierges de pigments, viennent rompre cette symétrie clair-sombre.
La partie gauche du visage est entièrement couverte d’une peinture foncée ; le cou est juste hachuré de noir. La texture sombre et huileuse de la peinture végétale alliée à la brillance de l’éclairage font ressortir les reliefs du crâne : l’arcade sourcilière, la pommette, le menton. La cornée immaculée de l’œil tranche avec le noir de la peau ; la pupille est coupée horizontalement par une fine ligne de lumière blanche, trace peut-être de l’éclairage installé par le photographe dans son studio portatif.
C’est sous les arbres que Sebastiao Salgado installe son studio avec ses assistants. Il tend une pièce de tissu épais de 6 mètres sur 9 pour servir de fond et couvre le sol d’une bâche pour se protéger de l’humidité. Le photographe nous dit : « En séparant les Indiens de l’exubérance de la forêt, ces photographies les montrent dans leur pleine beauté et leur élégance unique. »
Revenons aux détails de ce portrait :
La partie droite du visage est entièrement couverte de peinture claire à l’exception de l’œil enduit de noir. Le haut du front, la région temporale et la pommette sont couverts de traits noirs inégaux. Quatre diagonales sont tracées sous la narine gauche, trois autres se retrouvent sous la lèvre inférieure.
L’expression du regard est grave, solennelle, digne, dure, d’une droiture et d’une vérité sans faille.
Sans doute traduit-elle la fierté d’une indépendance, d’une culture et d’une mémoire regagnées par un peuple qui, tout en restant connecté au monde contemporain, a pleinement retrouvé ses rites, ses cérémonies, et sa langue ancestrale. Les Yawanawá sont devenus la preuve vivante que les peuples indigènes, en contrôlant leurs terres, peuvent combiner culture traditionnelle et modernité.
Nous sommes devant une vue aérienne de la rivière Juruá qui serpente à travers la forêt. La rivière entre dans le cadre de l’image par l’angle en bas à gauche pour former un grand arrondi, une courbe, comme le dessin schématique d’une tête, puis sort à droite de l’image.
Cette photographie est composée de deux parties : terre et ciel. Deux tiers de terre ; un tiers de ciel.
Les arbres sont comme agglomérés ensemble, constituant une surface de végétation dense et serrée, sans une seule trouée. La lumière est plus forte, plus blanche au sommet des arbres, tandis qu’elle s’assombrit dans la profondeur des bois.
Le ciel, qui occupe le tiers supérieur de l’image, est lui-même fait de deux couches distinctes. La première au-dessus de la forêt est gris clair, paisible et uniforme, ponctuée de petits nuages blancs et cotonneux. La deuxième couche, au-dessus, est bien plus imposante, sombre et ourlée de blanc. Ses noirs sont comme dilués, offrant différentes intensités. Des trainées noires émaillent la frange de blanc.
À gauche de l’image, on distingue au loin, l’arrondi d’un autre cours d’eau, peut-être cette même rivière Juruá qui miroite encore à l’horizon en petites tâches claires.
Comme le déclare Sebastião Salgado à propos d’un territoire plus grand que l’Union européenne et dont des secteurs entiers n’ont pas été photographiés : « La dimension quasi inimaginable de la région amazonienne ne peut être vraiment sentie que depuis les airs. ». Pour cela l’auteur a pu obtenir l’aide indispensable des équipages des hélicoptères de l’armée de terre et de l’air brésilienne qui ont accepté sa proposition de les accompagner pendant leurs missions dans les zones les plus isolées de la planète Amazonie. Les distances sont telles que seuls les militaires peuvent couvrir toutes les contrées, grâce à des dizaines de bases disséminées. Et Sebastião Salgado de préciser pour nous : « Vue d’avion ou d’hélicoptère, la forêt équatoriale se mue soudain en un gigantesque tapis vert parcouru de boucles sinueuses, les méandres de ses rivières paresseuses. À la saison humide, ce bel ordonnancement se trouve bouleversé car les cours d’eau débordent en inondant la forêt, parfois sur une centaine de kilomètres, ou en créant des lacs et des lagons pour mieux retrouver leurs anciens lits – ou en creuser d’autres – au moment de la décrue. »
Les huit chamans à la peau mate sont presque nus. Une ceinture est nouée autour de leurs hanches, et tombe en un pan de tissu qui cache leur entre-jambe.
Trois d’entre eux sont assis au premier rang sur des tabourets.
On trouve, de gauche à droite : Akutsapÿ, une soixantaine d’années. C’est le seul qui ne nous regarde pas : tête baissée, il tire sur un long et fin cigare,
Takumã au centre, et Makari, au regard sévère, qui semble un peu plus jeune que ses deux comparses.
Takumã nous fixe, occupant la place centrale de ce comité de chamans. Il se démarque des autres par son assise, plus haute, et son âge, plus avancé. Il était considéré à l’époque comme le plus grand chaman de toute la région du Xingu. Il porte un collier, une toque en peau de bête tachetée, des plumes blanches aux oreilles et des brassards également ornés de plumes. Sa main droite est posée sur son genou. Sa main gauche pend entre ses cuisses et tient un long et fin cigare. Takumã et Akutsapÿ, ne sont pas les seuls à fumer : trois de leurs six compagnons font de même.
Dans la tradition culturelle kamayurá, seuls les pajés – les chamans – fument du tabac, planté et cultivé par leurs soins. Ils ont pour habitude d’utiliser ces mêmes cigares lors des rituels de guérison ou de divination, en communication avec les esprits de la nature. Le chamanisme est un élément fondamental de la culture des kamayurá. Ses pratiques relèvent d’une conception animiste du monde selon laquelle les entités naturelles (animaux, plantes), mais aussi certains objets jouissent d’une « âme » avec lesquels les humains peuvent communiquer et interagir. Les visions et voyages de l’esprit occupent une place importante dans les rituels amazoniens, notamment grâce à la prise de drogues hallucinogènes ou de tabac à haute dose.
Revenons au portrait de groupe. Derrière Takumã, cinq hommes trapus et musclés se tiennent debout. On trouve de gauche à droite :
Pirakumã : il a environ 60 ans et regarde l’objectif en tirant sur son cigare, l’air un peu méfiant.
Kanari, plus jeune, entre trente et quarante ans, pose simplement les bras ballant le long du corps. L’expression de son visage est sérieuse.
Kanutari, la soixantaine sans doute bien passée, fume pareillement le cigare, les yeux mi-clos.
Kalalawá, s’appuie sur le faîte d’un long bâton, presque aussi grand que lui et décoré de motifs géométriques triangulaires. Il aspire la fumée de son cigare et porte sur la tête une toque en peau, haute d’une vingtaine de centimètres. Son âge est proche de celui de Takumã, le vénérable chaman central, également coiffé d’une toque.
Enfin, à l’extrême droite, Pataku, la trentaine, carrure de lutteur, et qui comme Kanari aux bras ballants, arbore sur le torse deux bandes de peintures agrémentées de dessins en forme d’yeux, sans doute d’un rouge vif obtenu à partir du pigment de l’arbuste roucou, appelé aussi urucum au Brésil. Les commissures légèrement tombantes de ses lèvres lui donnent un air triste.
Outre leurs ceintures, tous portent des guêtres, vraisemblablement en fibres végétales, et des brassards en tissus blancs, parfois décorés de plumes. À l’exception de Takumã, dont le collier est fait de graines ramassées dans la forêt, tous portent autour du cou des rangs serrés de coquillages blancs, parures caractéristiques de la culture du Haut-Xingu.
Takumã a rejoint le monde des esprits le 25 août 2014.
Une scène de lutte au corps-à-corps dans un village indien.
Au premier plan, central, deux hommes de profil s’affrontent, à genoux sur la terre battue, tous deux couverts de peintures corporelles.
Celui à gauche de l’image arbore des losanges sombres étirés sur une trentaine de centimètres qui remontent des mollets jusqu’au milieu du buste, tandis que son adversaire, à droite de l’image, est paré de trois larges bandes de peinture blanche décorées de cercles concentriques : une autour du mollet, une autre autour de la cuisse, une dernière autour de l’abdomen.
Leurs tibias sont entourés de guêtres en fibres végétales, et leurs hanches d’une ceinture d’étoffe nouée sur le devant, laissant tomber un pan de tissu devant l’entre-jambe. Ils se tiennent l’un par le cou, l’autre par la nuque, muscles bandés.
Au second plan, un homme debout tourne le dos aux combattants et semble jouer le rôle d’arbitre. Il observe trois autres couples qui luttent - à quatre pattes ou debout, répartis en demi-cercle autour des deux athlètes principaux.
Les groupes des différents villages s’affrontent à tour de rôle. Le guerrier qui touche l’arrière de la jambe de son adversaire ou, mieux encore, le met à terre, remporte le combat.
Derrière les trois couples de lutteurs, un autre cercle est formé par de nombreux spectateurs indiens tous masculins, jambes, fesses et torses nus, vêtu de guêtres et de cache sexe.
Derrière les spectateurs, au dernier plan, on distingue les toitures en chaume de deux huttes communautaires, qui doivent faire une dizaine de mètres de haut.
La fête se tient sur la place centrale en terre battue du village waurá, dont les maisons communales sont disposées dans un périmètre ovale. La place est le lieu de tous les événements publics : les luttes cérémonielles comme celle-ci, les enterrements ou encore les discours des dirigeants. Une fois les pugilats terminés et les vainqueurs de la lutte huka-huka désignés, les adolescentes du village sortent de leur isolement et sont présentées à l’ensemble de la communauté lors d’un défilé. Elles sont menées par deux guerriers jouant de longues flûtes. Après avoir été confinées pendant un an dans l’obscurité de leurs maisons, elles ont les cheveux longs, et la peau complètement blanche.
Une scène de chasse au cœur de la forêt amazonienne au sol jonché de feuille.
Au premier plan, à gauche, Typaramatxia Awá marche le nez en l’air en portant dans son dos le corps d’un singe qu’il vient de tuer.
L’homme a une trentaine d’année, les cheveux noirs et une frange épaisse qui lui arrive jusqu’au sourcils. Une barbichette dans laquelle on distingue quelques poils blancs, orne la pointe de son menton. Il regarde vers la cime des arbres en affichant un léger sourire, des yeux malicieux.
Typaramatxia Awá est nu. Deux bracelets à quatre rangs de petites perles fines ornent ses poignets. Ce sont les mêmes perles que l’on retrouve enroulées en brassard au-dessus de son biceps gauche, cette fois sur une dizaine de centimètres de largeur.
Il porte à la verticale un arc en bois plus grand que lui, accroché à son épaule.
Il tient à deux mains le bras droit du singe mort qui pend dans son dos, la tête tournée vers nous. L’animal mesure plus d’un mètre. C’est un saki au poil foncé. Il est transpercé au niveau du sternum et sur l’épaule gauche, par deux longues flèches en bois qui barrent l’image, et disparaissent hors cadre par le bord inférieur et le bord gauche de la photographie.
Classé en danger critique d'extinction, le saki noir est endémique du Brésil, où il vit dans la partie la plus à l'est de la forêt amazonienne. Arboricole, son régime alimentaire est constitué de frugivores, de fruits, d'insectes et de feuilles.
L’expression de la face imberbe et plus claire du singe est surprenante : ses yeux noirs sont restés ouverts ; ses babines tombantes entrouvertes laissent voir quelques dents et paraissent exprimer une profonde déception, ou de l’amertume. Les longs poils autour de sa tête, particulièrement autour de sa mâchoire, lui font comme un collier de barbe qui lui donne un aspect vénérable. Les traits du primate contrastent avec l’air amusé du chasseur.
Les singes sont l’une des viandes les plus recherchées par de nombreuses cultures indigènes d’Amazonie. Ils vivent dans la cime des arbres. Pour les atteindre, le chasseur Typaramatxia Awá a dû grimper et avancer en équilibre précaire sur des branches à plus de 30 mètres de hauteur. Il a appelé sa proie en imitant son cri, et en secouant de petites branches. Il lui a fallu toucher sa cible dès la première flèche, pour ne pas qu’elle s’enfuie. Parfois, un deuxième chasseur grimpe dans un arbre voisin afin de prendre la proie en étau.
Kiripy-tan, qui marche derrière Typaramatxia, et occupe la droite de l’image, a peut-être joué ce rôle-là. C’est un jeune homme d’une quinzaine d’années qui tient à la verticale un arc plus grand que lui et quelques flèches. Kiripy-tan nous regarde, un bras le long du corps, l’air presque étonné. Il est entièrement nu. Son arc cache un peu son sexe. Il est chaussé d’une paire de tongs en plastique.
La découverte de vastes gisements de minerai de fer et l’exploitation forestière illégale a rétrécit le territoire des Awá-Guajá. Il est de plus en plus difficile pour eux de trouver du gibier dans la forêt. Ils s’abstiennent souvent de chasser, craignant les attaques violentes des bûcherons, et ils souffrent de la faim. Les organisations de défense des indigènes dénoncent un « génocide » les concernant.
Cette photographie représente un paysage pris frontalement d’une embarcation. L’image est composée de trois matières différentes qui s’étagent l’une au-dessus de l’autre en trois strates horizontales : l’eau, le végétal et des nuages gonflés d’eau qui dominent l’ensemble.
Au premier plan, en bas de l’image, une mince bande aquatique reflète la végétation des arbres dont les troncs plongent directement dans l’eau.
Ici, point de berge, ni d’espace d’enracinement.
Au deuxième plan, plus éloigné, on trouve la forêt, qui occupe un peu moins du tiers de la photographie, et qui offre parfois des bouquets de branches et de feuilles plus clairs.
Émergeant de la masse touffue de la forêt, la petite silhouette noire d’un arbre se découpe contre le ciel au centre de l’image.
Puis la forêt est entièrement dominée par une masse nuageuse impressionnante, très épaisse, au sein de laquelle des formations blanches contrastent avec des reliefs d’un gris sombre, touchant au noir, tandis que d’autres parties sont nimbées, ici ou là, d’une aura ensoleillée.
Un arbre de grande taille peut puiser de l’eau jusqu’à 60 mètres de profondeur et en rejeter jusqu’à 1 000 litres par jour. Comme cette opération se répète en Amazonie sur 400 à 600 milliards d’arbres, on comprend que la forêt génère une part importante de l’eau qu’elle recueillera ensuite. L’un des phénomènes les plus extraordinaires de la forêt amazonienne – et peut-être le moins connu – est celui que l’on désigne familièrement sous le nom de « rivières volantes ». Ces « rivières volantes » transportent plus d’eau que l’Amazone lui-même, arrosent une grande partie de l’Amérique du Sud et au-delà. Alors que chaque jour, 17 milliards de tonnes d’eau se déversent du fleuve dans l’Atlantique, des scientifiques ont estimé que, dans le même temps, 20 milliards de tonnes d’eau montaient vers l’atmosphère depuis la jungle et quittaient l’Amazonie, ce qui vaut à celle-ci le surnom d’« océan vert ». Ces formations nuageuses, d’apparence saisonnière, apportent de l’eau aux villes, aux industries, aux usines hydroélectriques et à des fermes distantes de milliers de kilomètres, dans le sud du Brésil, mais aussi au Paraguay, en Uruguay ou encore en Argentine. De sorte qu’une mauvaise saison humide en Amazonie se traduit par une sécheresse sur une grande partie du continent.
Vitales pour le bien-être économique de dizaines de millions de personnes, surtout au Brésil, ces « rivières volantes » influent les schémas météorologiques du globe, et sont elles-mêmes vulnérables aux effets de la déforestation et du réchauffement climatique. Les scientifiques estiment qu’en raison de l’accélération de ces phénomènes, la température au sol du bassin amazonien a déjà augmenté de 1,5 degrés et devrait encore croître de 2 degrés si les tendances actuelles persistent. De même, ils redoutent une baisse des précipitations annuelles de 10 à 20 % du fait du réchauffement de la planète.
Archipel de Marjuá - En attendant ces prochains bouleversements, dans le ciel immense, houleux comme une mer, les nuages boursoufflés d’excroissances, de pommelures et de bosses se rassemblent en troupeau au-dessus de la forêt, prêts à déverser leurs eaux en trombes.
Debout derrière une rambarde de planches, trois jeunes filles nous regardent, serrées côte à côte. Seule la partie haute de leur corps nu est visible. Toutes posent l’avant-bras droit replié sur le rebord de la rambarde.
La dernière jeune fille sur la droite tient avec indolence une feuille ovale, longue d’une trentaine de centimètres. La matière brillante de la feuille, les courbes de ses nervures, contrastent avec la matité et les lignes verticales des planches de la rambarde.
Derrière les jeunes filles, à l’extrême gauche de l’image, on distingue la façade et l’entrée d’une baraque en bois. Les trois cousines sont sur la terrasse de cette baraque, protégées par un auvent de tôles ou de planches. Dans l’embrasure de l’entrée, on devine la silhouette d’un petit garçon nu, tourné vers nous. À l’extrême-droite de l’image, sur la terrasse, juste derrière la jeune fille à la feuille, une enfant à l’air rêveur est assise à côté d’un homme dont on ne perçoit pas le visage.
Revenons aux jeunes filles au premier plan. Même position, même chevelure d’un noir profond, même frange coupée au milieu du front : à première vue, elles se ressemblent, comme un personnage dupliqué, mais en regardant de plus près les trois jeunes filles - sorte de version amazonienne des Trois Grâces - se distinguent de plusieurs manières.
De la gauche vers la droite :
Hahani, sans doute la plus jeune des trois, a les cheveux qui tombent sur les épaules, et la partie inférieure du visage couverte de peinture sombre. Elle est parée d’un collier de petites perles à deux rangs, et au poignet droit, d’un bracelet plus foncé de même facture. Elle nous fixe avec une expression malicieuse.
Au milieu Tiniru, au visage plus carré, les tempes rasées et les cheveux qui retombent derrière les oreilles jusqu’aux épaules. Elle aussi porte un collier de fines perles noires et un bracelet fait à l’identique au poignet. Son front est couvert d’une couleur foncée, son regard est droit et volontaire, trois bandes de peinture de l’épaisseur d’un doigt lui barrent horizontalement le visage : la première sur le haut des pommettes, la seconde entre le nez et la lèvre supérieure, la dernière au niveau du menton.
Enfin Ugunja, la jeune fille à la feuille. Elle serre un peu moins les bras contre son corps et laisse apparaître sa petite poitrine pointue aux aréoles asymétriques.
Sa frange lui ceint le front jusque derrière les oreilles. Le reste de sa chevelure effilée lui tombe dans le dos, épouse la courbe d’une épaule. Une fine mèche descend en pointe jusqu’à la naissance de sa poitrine.
Son regard un peu cerné semble interrogatif. Elle est plus âgée que ses cousines. Des traits verticaux de peinture lui barrent le front, en se prolongeant sur les tempes et les joues.
Ugunja est morte quelques mois après ce portrait. Elle s’est ôtée volontairement la vie en ingérant du timbó, un poison végétal utilisé pour la chasse et la pêche. Les occidentaux assimileraient ce geste à un suicide mais pas les Suruwahá. Dans cette communauté, le taux de mortalité est élevé, particulièrement chez les 14-28 ans en pleine santé. La mythologie des Suruwahá explique ce phénomène : elle définit trois espaces où se rendent les morts. Le plus agréable de ces espaces est celui qui réunit les personnes jeunes et bien portantes, alors que les deux autres, beaucoup moins attirants, rassemblent les défunts qui ont été mordus par un serpent ou qui meurent de vieillesse. Ugunja a fait le choix de rejoindre son paradis dans la force de la jeunesse.
Un portrait de groupe dans la forêt amazonienne réunissant plus d’une trentaine de personnes réparties au pied d’un arbre au tronc épais.
À l’arrière, surplombant le groupe, deux adolescents : une jeune fille sur la gauche, et un garçon sur la droite qui tient un arc et des flèches. Ils sont juchés sur les racines de l’arbre, hautes de plusieurs mètres et qui s’évasent jusqu’au sol.
Il s’agit de la famille d’Antônio et de Francisca Piyãko, couple de septuagénaire assis au premier plan, au centre de l’image. 38 personnes en tout, femmes, hommes, enfants et bébés. La plupart des participants fixent l’appareil : c’est une assemblée qui nous regarde.
Le nombre des membres de cette famille s’explique par le fait qu’Antônio et Francisca ont eu sept enfants, avant d’en élever sept autres. L’arbre au pied duquel ils posent est un grand fromager, également appelé kapokier d’où l’on extrait le kapok, fibre végétale qui rembourre édredons et peluches. C’est un arbre géant pouvant atteindre 50 mètres de haut. Celui que nous trouvons sur cette image fait à sa base une dizaine de mètres de largeur. Il est considéré comme sacré par les Ashaninka et dans plusieurs autres cultures indigènes.
On remarque vite qu’au sein du groupe les femmes sont habillées de sombre, avec des tuniques de tissu brun uni, tandis que les hommes portent des habits à rayures. De très jeunes enfants se trouvent dans les bras de leurs mères, certains y dorment.
Antônio, ainsi que tous les hommes d’âge mur, ont une coiffe en paille : c’est une toque surmontée d’un plateau où trois plumes sont plantées en éventail. La plume centrale est plus haute que les autres. Le tour de tête est décoré de divers motifs géométriques. Antônio, le patriarche, a les yeux bridés, des pommettes hautes et rondes qui lui confèrent des traits presqu’asiatiques.
Comme les autres hommes, il est habillé d’une tunique de tissu artisanal à rayures verticales appelée kushma, confectionnée par les femmes de la tribu.
Nouée autour de son cou, un tissu léger lui fait comme une fine cravate.
Accrochée à son épaule droite, une longue parure de grosses perles à plusieurs rangs, comme un énorme collier, descend en courbe sur son buste jusqu’à sa cuisse gauche. Des longues flèches et un grand arc sont en appui à la verticale contre son épaule gauche et se confondent avec les rayures de son vêtement. Il est chaussé de tongs en plastique.
Assise à sa gauche, sa femme Francisca, en est également chaussée. Elle est brune aux cheveux longs déliés. Elle détonne avec le reste du groupe de par son habillement à l’occidental : une jupe claire à fleurs, et un chemisier motifs cachemire. Elle porte une montre au poignet gauche, seul signe de modernité dans cette image, avec les tongs. Malgré sa peau tannée et son visage marqué par la vie en extérieur, on devine que Francisca n’est pas d’origine indienne. D’elle, Sebastiao Salgado dit qu’elle est blanche et n’a jamais adopté les vêtements traditionnels Asháninka.
Plusieurs membres du groupe ont parfois le visage parsemé de fins motifs géométriques. Ces motifs dialoguent avec les ornements des chapeaux, les rayures des tuniques masculines, sur fond de forêt vierge à la végétation enchevêtrée où trône l’impressionnant kapokier.
Sebastião Salgado précise pour nous : « En peignant leurs visages avec des extraits naturels, les Asháninka créent des dessins exceptionnellement délicats, presque abstraits. C’est un peuple élégant, et les femmes sont d’une exquise beauté modulée par des siècles de résistance et de souffrance. »
Sebastiao Salgado nous propose ici un nouveau paysage aérien. Nous survolons les cimes de trois pics aux pentes raides, à la roche nue : trois pinacles à l’aspect pyramidal, alignés les uns derrières les autres en une diagonale qui part de l’angle inférieur droit de l’image et se poursuit vers le lointain.
Passant du blanc au noir, des nuages surplombent ces pics, montent jusqu’à l’extrémité supérieure du cadre et nous cache un autre sommet. Sur la partie gauche de la photographie, aux pieds des déclivités de ces pics escarpés, la végétation se répand le long de pentes douces et ensoleillées. Juste au-dessus des pentes, comme suspendu, un nuage isolé et blanc, presque rond, dont la légèreté rappelle une boule de coton.
Derrière ces pics aux arrêtes rocheuses et à la végétation uniforme, quatre lignes de crêtes se dessinent les unes derrière les autres, de plus en plus hautes. Elles sont nimbées d’un fin brouillard qui filtre les rayons du soleil.
Dans l’angle supérieur gauche de la photographie, le ciel devient plus sombre. L’angle inférieur droit est également plongé dans la pénombre, ce qui ferme le cadre et met en valeur le nuage isolé et cotonneux au centre de l’image.
L’impression de majesté qui se dégage ici est le fruit d’un mariage, d’une construction esthétique au caractère romantique, qui associe l’immensité et la pureté minérale de ces lieux d’altitude avec une atmosphère embrumée et diffuse, une vaporeuse bénédiction qui émane du ciel. Ici, la nature et ses éléments incarnent le sacré.
Les peuples amérindiens qui vivent dans cette région depuis des millénaires ont développé des formes sophistiquées d’adaptation à un environnement parmi les plus pauvres de toute l’Amazonie, sans le dégrader, en jouant sur les complémentarités entre les écosystèmes et en pratiquant des échanges entre communautés. Les abattis de petites surfaces de forêt permettent la culture du manioc dans la forêt de terre ferme, alors que les forêts épineuses sont exploitées pour les fibres et les pailles, enfin les zones de forêt inondée donnent poissons et lianes.
Le manioc, dont la culture est principalement gérée par les femmes, représente 80 à 95 % de la consommation quotidienne de calories. Les hommes chassent, pêchent, fabriquent les objets de vannerie et aident aux défrichements, au transport et à la récolte du manioc. L’orpaillage dans les Terres Indigènes, en principe strictement réservé aux populations amérindiennes, a été pratiqué à grande échelle dans les années 1980, profitant tout à la fois des cours montés à un niveau historique, de l’abondance des dépôts alluviaux aurifères et de la passivité des autorités. L’orpaillage fait encore aujourd’hui partie du paysage local, tant parce qu’un certain nombre d’Indiens le pratiquent que parce qu’il est une activité saisonnière habituelle pour tous les habitants de la région qui ont besoin d’argent rapidement.
Telle une « île flottante », le plateau sommital du Mont Roraima, comme porté par une puissante végétation, semble sortir des nuages. Cette prise de vue aérienne a été effectuée en contre-plongée - un axe de prise de vue du bas vers le haut - soulignant l’impressionnante élévation des parois qui avancent vers nous comme la proue d’un navire. Une légère nuée couronne cette montagne tabulaire, plate et horizontale à son sommet.
Cette fois nous lirons la photographie de haut en bas. De part et d’autre de la falaise haute d’un millier de mètres, s’étalent des trainées de nuages blancs qui circulent dans un ciel dégagé. Sur la roche, des surfaces sombres ou des traits verticaux trahissent des crevasses et indiquent le travail de l’érosion.
Sur le pourtour du massif, à intervalles réguliers, des fines coulées blanches marquent la présence de cascades que l’on devine magistrales, et qui déversent leurs eaux sur les parois abruptes.
Sur la paroi de gauche, la lumière fait jaillir la blancheur de leurs eaux. Le milieu de l’image est occupé par une couche nuageuse, qui épouse les pieds de la montagne. En dessous, une bande de forêt tropicale s’étale en pente épaisse et humide.
Tout en bas de la photographie, à un niveau d’altitude encore élevé mais juste au-dessus du bord horizontal du cadre, l’amorce d’un nouveau développement nuageux semble prêt à envahir progressivement l’image.
L’écrivain Arthur Conan Doyle a été frappé par le récit de la première ascension du mont Roraima à l'époque victorienne. À tel point, que son célèbre roman d'aventures Le Monde perdu, paru en 1912, retrace les péripéties d’une expédition qui se lance dans l'ascension d'un tepuy, en quête d'une flore et d'une faune préhistoriques. Si le tourisme cantonné à un secteur de randonnée n’en fait plus aujourd’hui un monde perdu, la forêt tropicale humide a été déclarée au cours des années 1970 « zone de protection intégrale », ce qui interdit toute activité humaine autre que scientifique.
Portrait d’une jeune femme nue de 15-20 ans, cadrée sous la poitrine, arborant coiffe de plumes et peinture éclatante sur un visage très rond. Le portrait a été effectué en extérieur, à la lumière du jour. Sebastiao Salgado a positionné son sujet devant la paroi d’une roche gris sombre, parsemée de quelques tâches plus claires. La parure ressemble à un soleil de plumes au milieu duquel apparait le visage et le buste de Bela aux seins nus.
La tête de la jeune femme occupe la partie centrale supérieure de l’image.
Sa coiffe tressée en fibres de bambou forme un arc qui descend de part et d’autre de son visage jusqu’au bas du cadre. Elle est structurée par les barbes d’un rang de longues plumes foncées, aux reflets argentés. Elle auréole Bela d’une douceur aérienne et satinée.
La surface autour de ses yeux – du bas des pommettes jusqu’au milieu du front – est couverte d’une peinture sombre en forme de masque étoilé. Le contour du masque est fait de pics acérés plus ou moins longs : une sorte d’explosion noire peinte autour des yeux qui met en valeur le regard frontal et envoûtant de la jeune femme. Deux pics plus courts descendent sur ses narines un peu épatées.
Les lèvres charnues et joliment dessinées de Bela sont en revanche intensément maquillée de noir. La lèvre inférieure brille d’un léger éclat de lumière blanche.
Passées derrière les oreilles, deux longues mèches de cheveux d’un noir de jais descendent en pointe entre ses seins aux aréoles symétriques. Un parallèle s’établit entre les seins et les yeux de la jeune fille, aux pupilles fixes et lumineuses. Cette beauté semble garder au plus profond de son regard encerclé de piquants une énigme insondable.
Les dessins corporels sont largement pratiqués durant le festival mariri où les Yawanawá chantent et dansent à la nuit tombée en consommant parfois de l’ayahuasca, une drogue hallucinogène et sacrée.
Après avoir éliminé les Bibles, retrouvé leurs rites, rétabli l’enseignement de leur langue originelle, encouragé l’étude des anciens mythes, les nouvelles générations Yawanawá ont renoué avec la mémoire et le savoir de leurs ancêtres. Ils ont jadis connu d’intenses relations avec l’Empire inca et ont aujourd’hui retrouvé pleinement leurs traditions.
Au premier plan une jeune femme nue, Josane, entre vingt et trente ans, brune aux cheveux courts, est assise dans la forêt. Elle occupe le centre de l’image. Aldeni est assise à la droite de Josane. Elle est de profil et occupe le second plan.
Deux autres femmes sont avec elles, dont on ne voit que la silhouette en arrière-plan.
Revenons sur Josane. Le cadre nous présente la partie supérieure de son corps positionné de trois-quarts, sa tête est tournée vers nous, presque entièrement de face. Elle a un visage triangulaire, les pommettes hautes, le nez fin, les lèvres pulpeuses, des yeux en amande qui pourraient bien être clairs. Son bras gauche est plié en angle droit, le coude posé sur sa jambe gauche. Son poignet porte trois larges bracelets de petites perles serrées : un noir, un blanc et un dernier que l’on devine coloré et où les perles sont cousues en motifs géométriques sur une bande de tissu.
Un brassard de fibres végétales effilochées noires et blanches entoure son biceps.
Une ligne sombre de peinture naturelle, remonte en zigzag le long de son bras et se poursuit sur son flanc gauche. Selon certains anthropologues elle symbolise les animaux mythologiques du monde aquatique. L’avant-bras droit plié se tient verticalement, et ramène la main près de sa joue. Le poignet est entouré d’un large bracelet de petites perles noires et blanches. Un autre bracelet blanc ceint son biceps. Un collier à 11 rangs de fines perles blanches orne son cou. Deux fines baguettes végétales transpercent la commissure des lèvres. Elles s’évasent sur les côtés, et se terminent par un petit bouquet de courtes plumes noires. Une autre baguette du même type, longue d’une quinzaine de centimètres et sans décoration à ses extrémités, traverse la paroi de cartilage séparant les narines de la jeune femme. Ces baguettes sont un ornement typique des Yanomamis. Elles sont faites en bois de palmier et sont longues d’une dizaine de centimètres. Le visage de Josane est entouré d’un cercle de peinture végétal. Il passe juste au-dessus des sourcils, descend sur la tempe, court au milieu de la joue, et poursuit son dessin entre la bouche et le menton.
Ce qui frappe l’observateur dans ce portrait, c’est l’expression du regard de Josane, au sein d’un visage impavide. Elle ne regarde pas l’objectif du photographe. Elle a les yeux perdus dans le vague. Juste derrière elle, sur la droite de l’image se trouve un tronc d’arbre à l’écorce tachetée de gris. Des longues feuilles flétries pendent contre le tronc.
Josane masque partiellement Aldeni, assise de profil au second plan et légèrement plus floue. Elle a une vingtaine d’années. Brune elle aussi, elle porte des cheveux mi-longs, avec une frange jusqu’aux sourcils. On distingue des traces de peinture sur son bras. Aldeni semble tenir un miroir de poche de la main gauche dans lequel elle se scrute, le coude appuyé sur le genou plié de sa jambe gauche.
Derrière elle, la silhouette floue d’une femme corpulente, se tient debout. Elle a le corps barré par deux lignes de peinture qui partent des épaules et descendent vers le sternum en contournant sa poitrine pendante. Le haut de sa tête est coupé par le bord supérieur de la photographie. Elle parait affairée à une occupation qui nous échappe, peut-être s’occupe-t-elle d’une femme assise que nous ne voyons pas, cachée par Aldeni.
Une autre silhouette se découpe au fond de l’image à droite, à demi masquée par le tronc d’arbre : celle d’une femme penchée, dont on ne voit pas le visage ; un pan de tissu en éventail devant l’entre-jambe.
À l’époque des premières menstrues, les filles yanomamis sont isolées dans une petite cabane en feuillage. Elles ont pour interdiction de manger de la viande et de se laver. Seules leur mère ou une parente ont la possibilité de les rejoindre pour les nourrir ou allumer un feu. Ce ne sont pas les femmes qui choisissent leurs conjoints. C'est le père de la future épouse ou son frère qui décide de l'union, mais bien souvent c’est un jeune homme qui fait valoir le droit particulier qu'il possède sur sa cousine. Habituellement, la résidence du couple demeure dans le village des parents de l’homme. Il arrive qu’un individu soit marié à plusieurs sœurs simultanément, et une femme peut aussi avoir plusieurs maris ou amants. Suivant les études de l’ethnologue Herera, les amants d’une même femme vivent en parfaite intelligence et sans connaître de jalousie. Une femme a généralement entre six et dix enfants au cours de sa vie, parfois plus. Les Yanomami pratiquent l'infanticide des filles et on compte en moyenne huit femmes pour dix hommes.
La surface de l’image est totalement envahie par la végétation : feuilles, troncs, branches, frondaisons… Mais à bien y regarder, les agencements divers et complexes de la forêt sont pour moitié les reflets des plantes et des arbres miroitant dans les eaux qui occupent la partie inférieure de la photographie. Dans la rivière, l’image très légèrement trouble des feuillages enchevêtrés produit comme un effet de tremblement dans l’eau. La photographie a été prise d’une embarcation : aucune sensation de mouvement, nulle trace d’onde, de remous ou de sillage, l’eau est plate et reposée, le temps est suspendu. Au milieu de l’image, les troncs blancs élancés d’un groupe de palmiers, aux longues ramures tombantes et arquées, se détachent du fouillis végétal, comme un bouquet. Au bout des troncs-tiges, les palmes forment des touffes qui, de loin, paraissent duveteuses, pareilles à des plumeaux fatigués.
Il s’agit d’un ensemble d’Astrocaryum jauari, une espèce de palmiers à feuilles pennées – c’est-à-dire « disposée comme les barbes d’une plume ». Ces palmiers sont endémiques de la forêt amazonienne. On les trouve dans la majeure partie de la région, dans les zones inondées de façon saisonnière, ou le long des rivières et des lacs d’eau noire où ils se regroupent en colonies assez grandes. Armés de longues épines noires ils peuvent faire jusqu’à 20 m de haut pour 30 cm de diamètre. Les fruits de cet arbre sont consommés par les poissons.
Sur la gauche de l’image, le reflet d’un feuillage dans l’eau rappelle les contours d’un papillon aux ailes ouvertes. Sur la droite du groupe de palmiers, le tronc incurvé d’un grand arbre se poursuit par une ramure courbe qui dessine une arche. Le reflet de cette arche dans l’eau forme un ovale presque parfait. Grâce à ce phénomène de miroitement et de dédoublement, le lecteur peut faire appel à son imagination, et s’amuser à découvrir de nouvelles figures, comme des représentations cachées, à l’instar des interprétations éphémères que certains tirent parfois en observant des nuages.
Le parc national de Jau est un paradis préservé au cœur de l’Amazonie abritant de nombreuses espèces dont l’état est préoccupant à l’échelle mondiale comme, par exemple, le jaguar, la loutre géante, le lamantin de l’Amazonie, le caïman noir, et la podocnémie élargie, une tortue qui possède, un cou de serpent et une large carapace aux écailles lisses, qui peut atteindre une longueur de 89 cm et un poids de 90 kg. Le Parc regroupe environ 60% des espèces de poissons qui vivent dans le bassin du rio Negro et 60% également des oiseaux décrits en Amazonie centrale. La région est considérée comme exceptionnelle pour les études d’ornithologie.
Au premier plan, un homme d’une cinquantaine d’années est debout face à nous, le torse nu. Il est cadré jusqu’au milieu des cuisses. Son visage occupe le centre de l’image. La photo est prise sur le vif, en plein mouvement : l’homme a la bouche ouverte, les bras écartés, levés au-dessus de la tête, les paumes en avant.
Il a la position caractéristique et immémoriale de l’orant - l’homme qui prie et invoque le ciel, dialogue avec les divinités ou les forces de l’invisible.
L’homme est au milieu d’une rivière montagneuse au lit étroit, parsemé de grosses roches moussues et dont les eaux miroitantes s’écoulent ça-et-là en petites cascades. De part et d’autre de la photo, les berges couvertes d’une abondante végétation partent vers le lointain et disparaissent dans la brume.
L’orant porte aux bras deux brassards de plumes sombres d’où pendent deux cordelettes d’une dizaine de centimètres, et sur la tête, une couronne de plumes blanches de même largeur. Ce sont les parures typiques des chamans yanomami, qui confectionnent ces couronnes en enduisant leurs cheveux de cire d’abeille sur laquelle ils collent des centaines de duvets.
Derrière lui, au centre de la rivière, la petite silhouette d’un jeune homme accroupi est perchée sur un rocher. Il surplombe l’eau, un arc et une flèche à la main. Une bande de peinture noire lui couvre les yeux.
À la droite de l’orant, à quelques mètres dans son dos, un autre homme d’une vingtaine d’années est assis sur une pierre. Il est torse-nu avec un collier blanc et un brassard noir à chaque bras. Il tient arc et flèche à la verticale, entre ses jambes couvertes d’un pantalon. Il est chaussé de bottes imperméables. Son visage est peint en noir, à l’exception d’un rectangle blanc autour des yeux et du nez. Un trait noir descend le long de l’arête nasale. Il regarde avec attention l’orant en plein rituel.
Dans cette scène on découvre le chaman Ângelo Barcelos – appelé Koparihewë dans sa tribu, ce qui signifie « Chef du chant » ou « Voix de la nature ». Le chamanisme est un élément fondamental de la culture Yanomami, une voie de la connaissance qui tente de réguler les forces et l’équilibre de la nature. Pour cela, ces chefs religieux rentrent en interaction avec le monde des esprits qu’ils appellent les Xapiri. Les esprits imprègnent l’entièreté de la forêt : créatures, rochers, rivières, arbres ou montagnes. Certains d’entre eux sont mal intentionnés et peuvent attaquer les hommes, contrecarrer leurs plans ou provoquer des maladies.
Sebastiao Salgado a saisi ici le chaman Ângelo Barcelos dans une séance avec les esprits Xapiri pour qu’ils leur facilitent l’ascension du Pico da Neblina. Pour les Yanomami, c’est un lieu sacré qu’ils appellent Yaripo. Et le photographe de nous préciser : « Avant de gravir cette ascension, accompagné de 22 Indiens et deux des plus grands chamans yanomami - des montagnards chevronnés, l’un d’eux a demandé aux esprits un temps plus clément – il a été partiellement entendu. »
Le visage du chaman est entouré d’une couche de peinture sombre qui occupe son cou, sans lui couvrir les oreilles et qui descend comme une longue langue sur sa poitrine jusqu’au bord du nombril.
Sur cette langue de peinture on distingue trois lignes claires, verticales et en zigzag. Deux colliers descendent jusqu’en bas de son sternum : un confectionné avec des perles fines à motifs géométriques, un autre avec une croix portant le corps du Christ en relief. Au-dessus de son épaule droite et dans le bas de son dos, deux touffes de plumes apparaissent, accrochées on ne sait comment. Il est vêtu d’un pantalon ou d’un short de coton retenu à la taille par une ceinture de perles fines à motifs géométriques.
En pleine incantation, Ângelo Barcelos tourne sur sa droite un regard qu’il porte très loin vers le ciel.
Parmi d’autres techniques les chamans yanomami contrôlent les esprits en inhalant une poudre psychotrope appelée yakoana. Au cours des visions provoquées par la transe, ils entrent en contact avec eux, sous leurs diverses formes : esprits d’animaux de la forêt et/ou ancêtres devenus animaux, esprits des feuilles, des lianes, du miel, des pierres, de la pluie... etc. Certains esprits viennent du monde souterrain tandis que proviennent du ciel et même au-delà.
Le chaman Davi Kopenawa, leader yanomami que Sebastiao Salgado connait bien et a photographié à maintes reprises, explique dans un entretien à propos des esprits amazoniens que : « Seuls ceux qui connaissent les Xapiri peuvent les voir parce qu’ils sont très petits et brillent comme des lumières. Il y a énormément de Xapiri, des milliers, comme des étoiles. Ils sont beaux, décorés avec des plumes de perroquets, peints avec du roucou. D’autres ont des boucles d’oreille et sont peints en noir. Ils dansent très bien et chantent... »
Portrait de Txitxopi, un homme d’une trentaine d’années, réalisé sur fond noir dans le studio portatif de Sebastiao Salgado. Photographié de profil, de la tête à la taille, il a le corps tourné vers la droite de l’image. Il serre le manche en bois d’une grande lance qu’il tient à la verticale, posée à une trentaine de centimètre devant lui. La lance le dépasse d’une bonne tête et touche presque le haut du cadre.
La longue pointe effilée de l’arme est en bois. Elle mesure à elle seule une bonne soixantaine de centimètres. Elle est emmanchée à l’aide d’un fil de fer qui encercle le haut de la hampe. Txitxopi tient l’arme à deux mains, les coudes fléchis.
Nu, fin et musclé, il pose au centre de l’image et se découpe sur un fond gris très sombre qui occupe les 3/4 du cadre. Son visage est assez massif, avec un nez un peu épaté, des lèvres fines, l’arcade sourcilière entièrement épilée, le regard sombre. Son attitude est déterminée. Par endroit, sa peau est un peu plus foncée, en particulier sur le visage, trace ancienne sans doute de peintures au roucou, pigment couramment utilisé par les Korubo.
Sur son épaule, on remarque des cicatrices très fines, comme des griffures.
Autour de son cou, deux rangs de perles fines et blanches. Un large bandeau blanc ceint son crâne au-dessus des oreilles. Txitxopi a le lobe percé. Sa chevelure noire émerge en haut du bandeau : elle est rasée en plein milieu d’une oreille à l’autre sur une largeur de 5 ou 6 centimètres.
Comme on le voit ici, et contrairement à d’autres communautés, les Korubo portent peu d’ornements ou de peintures corporelles complexes. La peau des Korubo est souvent peinte en rouge, mais c’est la couleur de la boue qui leur a valu leur nom. C’est un peuple des hauts plateaux, peu habitué aux rivières et aux moustiques qui pullulent sur les berges. Lorsqu’ils s’en approchent, ils se couvrent d’argile pour se protéger des piqûres d’insectes. En les voyant ainsi, leurs voisins les Matis les ont appelés « Koru-bo », peuple couvert de boue. Jusqu’au premier contact, ils n’utilisaient pas l’arc et les flèches, si courants chez les autres peuples indigènes.
Au moins une tribu Korubo vit toujours dans les profondeurs de la forêt, sans relation avec le reste du monde. Aujourd’hui encore, très peu d’entre eux parlent le portugais, et ils connaissent de rares échanges avec les autres peuples. Leur culture traditionnelle est presque intacte.
Photographie aérienne, prise à haute altitude au-dessus des reliefs du massif de l’Imeri. D’abord, on croit voir un volcan couvert de végétation dont le cratère rejette un énorme jet de fumée en forme de champignon. Mais à bien y regarder, le phénomène n’émane pas du massif montagneux. Il provient du ciel. Le chapeau du champignon est une formation nuageuse grise, orageuse, boursoufflée qui déverse une extraordinaire trombe de pluie juste au-dessus d’un cirque naturel creusé dans les flancs de la montagne. Les nuages se déploient sur toute la largeur de l’image en haut du cadre. Au centre de la photographie, la trombe d’eau s’abat en colonne blanche et vaporeuse dans l’entonnoir montagneux.
La moitié inférieure de la photographie est occupée par les pentes douces de la montagne couverte de végétation. Ça-et-là, la canopée illuminée de zones claires, les arbres comme saupoudrés de neige indiquent des trouées de soleil à travers les nuées. Le noir et blanc de la photographie, en vérité composée d’une infinité de nuances de gris, accentue la différence de matière entre le ciel et la terre ; le velouté des nuages, le flou vaporeux de la trombe de pluie s’opposent à la texture sombre et grumeleuse des pentes de la montagne. Le point de vue aérien estompe les détails : le foisonnement végétal sur les pentes pourrait tout aussi bien être une matière terreuse et minérale.
Au loin, une chaîne montagneuse barre l’horizon. Elle est masquée par le pied du champignon nuageux, véritable cataracte tombant du firmament et située au centre de l’image. Comme souvent devant les photographies de Sebastiao Salgado, nous restons émus et impressionnés par la majesté et la grandeur des manifestations d’une nature vierge.
Quelles que soient sa forme et son intensité, la pluie est essentielle pour les animaux, la végétation, la vie des cours d’eau et des populations indigènes. Constat préoccupant, la saison sèche dans le bassin amazonien a augmenté en moyenne de quatre semaines en quarante ans, sous l’effet peut-être du changement climatique. Les sécheresses se produisent avec une fréquence et une sévérité accrues ces quinze dernières années. Elles peuvent être plus dommageables que les terribles orages de la région, car une grande partie du Brésil méridional et du bassin du Río de la Plata sont tributaires de l’eau apportée par les nuages de l’Amazonie.
Des branches de palmier entrecroisées d’environ 3 mètres de long tapissent toute la photographie. Elles forment un mur de fond et couvrent le sol. Huit femmes et deux enfants peuplent ce décor. On ne voit ni plafond ni ouverture dans le mur de palmes. Sommes-nous dehors ou dedans ? Un doute subsiste quant à l’origine de la lumière qui semble naturelle et qui éclaire la scène de manière uniforme.
Sur la gauche de l’image quatre femmes assises sont occupées à s’enduire de roucou, une pâte faite à base de graines écrasées de couleur rouge, à la fois ornementale, antiseptique et puissant répulsif contre les moustiques.
Deux femmes se teignent elles-mêmes la peau, passant leur main sur leur corps. Les deux autres sont assises l’une derrière l’autre, face à nous. La plus jeune passe du roucou dans le dos de son aînée. Derrière elles, deux autres femmes debout se consacrent à la même activité. Elles sont adossées à la cloison de palmes dans une position identique : la tête et le buste un peu penchés sur leur droite, talon droit levé, jambe légèrement pliée pour mieux enduire de pigment l’arrière de leur cuisse. L’anatomie des deux corps nus se ressemble, ce qui accentue un sentiment de double et de synchronisation.
À droite de l’image, deux femmes sont étendues mollement sur le dos, dans des hamacs accrochés en biais. Leurs visages sont orientés vers le mur de palmes.
Entre les femmes qui s’enduisent de roucou et les femmes qui se reposent, deux enfants forment une discrète ligne de partage presqu’au centre de l’image : une petite fille de cinq ou sept ans, assise à l’arrière-plan contre le mur de palmes et au premier plan un enfant dont on ne voit pas le visage, couché sur le ventre, fesses nues, les pieds pointés vers nous.
A l’exception des deux enfants, toutes les femmes portent dans la lèvre inférieure un imposant cône d’environ cinq centimètres de diamètre qui pointe vers le bas sur 10 centimètres de long. Sa franche couleur blanche se détache du reste de la photo, dont la tonalité est faite d’un gris plutôt foncé. Elles portent également une magnifique tiare blanche, une coiffe en forme d’arche descendant jusqu’aux oreilles, élaborée à partir de petites plumes. Des fils de cotons sombres entourent leurs chevilles ainsi que le haut de leurs tibias. Trois d’entre elles au moins portent une dizaine de bracelets regroupés sur un seul bras. Aucune des femmes ne prêtent attention au photographe. Cette indifférence donne l’impression de pénétrer au cœur d’une scène intime, dominée par une même occupation, celle d’un rituel féminin de beauté et d’un farniente tropical.
Les Zo’é sont le seul peuple indigène du Brésil à utiliser le poturu, ce cône en bois logé dans la lèvre inférieure. Cet énorme piercing représente leur signe distinctif. Au début de la puberté, au cours d’une cérémonie d’initiation, filles et garçons se font percer la lèvre avec un os très dur de tibia de singe, puis le poturu est inséré dans l’incision. Chaque jour, il est remplacé par un autre plus grand, jusqu’à atteindre la dimension appropriée. De diamètre et de longueur variables, cette parure leur déforme la mâchoire, renforçant la ligne du menton.
Les plumes des coiffes féminines sont tirées du poitrail du vautour pape. Capturé par les hommes zo’é il est mis en laisse comme un animal de compagnie. Chaque fois que les chasseurs reviennent d’une expédition, ils commencent par nourrir les vautours, afin qu’ils restent en bonne santé et procurent de belles plumes.
Les hamacs sont confectionnés avec des fibres récoltées dans la forêt, ou bien à partir de celles du noyer du Brésil. C’est le mobilier principal de la tribu, utilisés constamment, non seulement pour dormir, mais aussi de jour, pour la prise des repas par exemple.
Ces Indiens ne possèdent rien en propre. Quand ils meurent, leur maison, les arcs et flèches, outils, ustensiles, tous leurs objets sont rassemblés et brûlés. Excellents agriculteurs, le manioc qu’ils cultivent est la base de leur nourriture, complétée par tout ce qu’ils puisent dans forêt : cueillette des fruits, chasse et pêche.
Les Zo’é sont polygames et polyandres, les hommes ont plusieurs femmes et les femmes plusieurs maris. L’un peut être chasseur, l’autre pêcheur, un autre agriculteur, un dernier au foyer. Les Zo’é sont convaincus qu’un même couple ne peut avoir que trois enfants. Par conséquent, pour poursuivre leurs conquêtes et se multiplier, ils changent de conjoint. Mœurs étonnant et hautement appréciable, les tensions sont résolues chez eux d’une façon très particulière : avec des chatouilles. Ainsi, pour apaiser les conflits, les adversaires se taquinent physiquement entre eux.
Dans la pénombre d’une maloca, cette maison communautaire où vivent les Marubo.
Plan large. Le sol irrégulier est fait de terre battue.
Dans le coin en bas à gauche, un chien noir et blanc nous tourne le dos. Il est couché comme un sphinx, le corps dirigé vers le coin opposé de l’image.
Il regarde 7 silhouettes masculines assises sur deux longs bancs parallèles qui poursuivent la diagonale amorcée par le chien. Chaque banc est constitué de deux troncs d’arbre coupés dans le sens de la longueur et posés sur deux épais rondins.
Au bout de la diagonale, une ouverture rectangulaire est inondée de lumière blanche provenant du dehors. Devant l’ouverture, on distingue un ou une enfant tourné.e vers la lumière.
Au-dessus des bancs et du chien, suivant la même diagonale, deux fils électriques sont reliés par une petite ampoule qui surplombe la scène.
La salle est haute et sans plafond. La charpente en bois du toit apparaît à nu sous une couverture végétale sèche. Elle occupe toute la partie supérieure de l’image et abrite la petite assemblée immobile. Derrière les silhouettes assises, un tronc évidé d’un peu plus d’un mètre de long est suspendu à un mètre du sol par d’épaisses lianes.
C’est un trocano, un tambour sacré muni d’une cavité intérieure rectangulaire et profonde. Il est utilisé durant les fêtes et pour alerter les communautés des environs en cas de nouvelles importantes.
Les maisons communautaires Marubo possèdent deux entrées, l’une vers le sud et l’autre vers le nord.
L’entrée nord est utilisée sans cérémonie particulière, pour les allées et venues habituelles des résidents.
L’entrée sud, ici photographiée, est l’entrée « principale ». Elle est dotée de deux bancs où les visiteurs sont accueillis, où les dirigeants s’assoient pour débattre des questions d’intérêt public ou encore pour converser le soir.
Les hommes de la maison s’y installent pendant les deux repas quotidiens, l’un pris avant de partir pour les activités de la journée et l’autre à leur retour. Les femmes mangent au centre de la maison, assises sur des nattes. C’est aussi le lieu de consommation de l’ayahuasca, lors des séances chamaniques.
Assis sur les deux troncs de la rangée de droite, trois hommes sont de dos. Sous le banc, on aperçoit la queue et l’arrière train d’un autre chien. Derrière les trois hommes, à droite de la photographie, une longue bande de vannerie pend à un poteau de bois.
Assis sur les deux troncs de la rangée de gauche, quatre hommes nous font face. Derrière eux, une poule picore la terre battue d’un vaste espace, où un hamac est accroché. Le bas de la maloca fait de cloisons végétales filtre la lumière extérieure. Une ambiance silencieuse et calme plane sur cette scène.
Les Marubo divisent la société en 18 sections qui portent des noms d’animaux ; les mariages doivent se faire avec des personnes appartenant à des sections familiales spécifiques, ce qui entraîne des unions avec des cousins croisés. Les Marubo peuvent être polygames : en se mariant, un homme devient immédiatement candidat à l’union avec les sœurs de sa femme ; s’il ne le souhaite pas, l’un de ses propres frères pourra prendre sa place. Chaque maison Marubo a un « maître », qui est le chef de la communauté, également responsable de sa construction et de son entretien structurel. Sa famille occupe les espaces les plus proches de l’entrée principale, ce qui fait aussi de lui une sorte de gardien de la maison.
Portrait de Vanãeua, une femme Marubo d’une quarantaine d’années.
Vanãeua occupe le centre de l’image, cadrée de la tête à la poitrine. Elle est positionnée de trois-quarts, le visage et le regard tournés vers la gauche de l’image. Sa silhouette se découpe sur un fond de ciel brossé de quelques traînées nuageuses.
Elle a de longs cheveux noirs souples et déliés qui lui tombe dans le dos. Une mèche légèrement ondulée épouse l’arrondi de son épaule droite. Une frange lui couvre le front jusqu’au sourcil. Elle a les yeux clairs, un nez long aux narines épatées. Son visage rond aux pommettes larges est grave.
Un bijou de perles blanches lui traverse le septum - la cloison cartilagineuse entre les narines - et remonte sur ses joues jusqu’aux oreilles dissimulées dans sa chevelure noire de jais.
Vanãeua est nue, la poitrine tombante, les épaules vigoureuses, la peau ferme, un peu tavelée et granuleuse sur les bras. La douceur et le relâchement de sa position indique qu’elle est probablement assise.
Quatre épais colliers parent sa nudité : deux blancs et deux noirs, tous constitués de perles minuscules, enfilées sur plusieurs dizaines de rangs torsadés. Ils n’entourent pas le cou mais sont passés en bandoulière sur les épaules et se croisent en X monochromes – un blanc, un noir - entre les seins.
Vanãeua n’esquisse pas de sourire, ses lèvres charnues sont fermées, les commissures légèrement tirées vers le bas.
Mais c’est surtout l’expression de son regard qui fascine et déstabilise à la fois. Son œil gauche nous fixe avec attention, tandis que son œil droit est songeur, légèrement tourné vers le ciel.
Vanãeua est à la fois ici et ailleurs – là et plus là - ce qui confère à son portrait de madone amazonienne une intensité intemporelle teintée de douceur et d’une grande tristesse.
Explorer l'univers
Crédits
- Photographies : © Sebastião SALGADO
- Exposition AMAZÔNIA – Scénographie originale : Lélia WANICK SALGADO
- Exposition accessible initiée et produite par : la Fondation VISIO
- Direction de projet : Fondation VISIO et Marie GAUMY
- Auteur : Farid ABDELOUAHAB
- Relecteurs : Marie GAUMY et Hamou BOUAKKAZ
- Textes validés par : Lélia WANICK SALGADO et Sebastião SALGADO
- Voix : Marie GAUMY et Farid ABDELOUAHAB
- Enregistrements : Studio HONOLULU
- Interviews – Réalisation : MALSAGECCO PRODUCTIONS
- Conception, design et développement du site internet : MONAGRAPHIC
- Consultant accessibilité internet : EMPREINTE DIGITALE
En savoir plus
- Philharmonie de PARIS: 20 mai 2021 – 31 octobre 2021
- MAXXI – ROME: 1er octobre 2021 – 13 février 2022
- Science Museum – LONDRES : 13 octobre 2021 – mars 2022
- SESC – SÃO PAULO : 15 février – 3 juillet 2022
- Science Museum – MANCHESTER : 10 mai 2022 – août 2022
- Palais des Papes – AVIGNON : juin 2022 – octobre 2022
- Museu do Amanhã – RIO DE JANEIRO : 19 juillet 2022 – 30 octobre 2022
- MAAG Halle – ZÜRICH : 31 mai 2023 – 24 septembre 2023
- Fabbrica del Vapore – MILAN : 12 mai – 19 novembre 2023
- Festival LA GACILLY (exposition en extérieur) : 1 juin au 1 octobre 2023
- Centro Cultural Fernan Gomez – MADRID : 13 septembre 2023 – 14 janvier 2024
- Musée des Beaux-Arts – BRUXELLES : démarrage en 2025